Interview – Françoise Bourdin6 min de lecture

Nous avons rencontré la romancière Françoise Bourdin à l’occasion d’un safari-tour brousse au ZooSafari de Thoiry, qui a été une source d’inspiration pour ses romans "Gran Paradiso" et "Si loin, si proches" (éditions Belfond).

Quel rôle a joué le Zoosafari de Thoiry dans vos romans ?

Françoise Bourdin : J’y suis venue il y a trois ans, un été, avec ma fille. Quand nous sommes rentrés en voiture dans le territoire des ours, j’ai eu une illumination, je me suis dit que c’était le plus beau décor que l’on pouvait trouver pour un roman. Il pouvait s’y passer tellement d’événements, je pouvais y faire rebondir tellement de choses ! Et avec mon amour des animaux, mon héros allait forcément être un vétérinaire ! J’avais tous les ingrédients et c’est ainsi que j’ai pu inventer mon propre parc zoologique.

J’étais tellement bien dans cette histoire et dans ce parc que lorsque j’ai mis le mot fin, j’ai ressenti un grand vide. J’avais pris l’habitude de descendre dans mon bureau chaque matin en me disant « bon ! où en sont les personnages ? » et de retourner dans mon parc zoologique par la pensée. Quand je me suis dit « c’est terminé, je n’irai plus, c’est une fiction avec des héros imaginaires, je peux leur dire au revoir », j’ai eu un pincement au cœur. Au bout d’un an de travail, Lorenzo le vétérinaire était vraiment devenu un membre de ma famille ! Ce sont à la fois les petits bonheurs et les petits malheurs du romancier !

Revenir deux ans plus tard à Thoiry en ayant écrit Gran Paradiso puis le tome 2 Si loin, si proches, et ainsi avoir bouclé l’histoire de mon héros, était très symbolique pour moi.

 

À la lecture du roman, le lecteur a vraiment l’impression de pouvoir se promener dans le parc Belmonte. Comment l’avez-vous imaginé ?

Françoise Bourdin : Je prends très peu de notes, mais pour les lieux, j’aime bien gribouiller ! Je l’ai vraiment visualisé. Aujourd’hui, les descriptions longues ne sont plus possibles, il faut donc qu’en quelques mots le lecteur soit transporté. Pour y parvenir, il fallait que j’y sois d’abord dans ma tête. Il fallait que je le voie, il était important que je sache où était le restaurant, ou encore la maison des stagiaires. Si je savais dessiner, je pourrais en faire des plans en 3D, je le connais par cœur !

 

Une partie de l’histoire de Si loin, si proches se déroule en Afrique. Vous parvenez à transporter le lecteur au sein de la réserve africaine ; avez-vous eu l’occasion de vous rendre en Afrique ?

Françoise Bourdin : Il n’y a pas très longtemps, je suis tombée sur une interview d’un auteur à qui on faisait le reproche de situer son roman dans un endroit dans lequel il n’était jamais allé et sa réponse m’a fait hurler de rire : « Shakespeare n’est jamais allé à Vérone ! » C’est très vrai, on peut totalement imaginer un lieu.

Samburu, au Kenya, est une réserve particulière ; je me suis donc énormément documentée. Lorsqu’il s’agit de vidéos, je les regarde et prends quelques notes, mais lorsqu’il s’agit d’articles, j’ai tendance à les imprimer et à me retrouver avec une énorme pile de documents ! Mais c’est ce qui me permet de rentrer complètement dans mon sujet, de nager dedans. De la même manière, j’ai dû me documenter sur le métier de vétérinaire, mais j’y ai pris beaucoup de plaisir. J’ai interrogé les vétérinaires de ma région, en Normandie, mais ils n’ont jamais vu de lions de leur vie et n’ont pas d’animaux sauvages dans leur clientèle !

Mais le rôle d’un auteur est de pouvoir emmener ses lecteurs partout.

 

Dans Gran Paradiso et Si loin, si proches, certains animaux sont davantage abordés que d’autres. S’agit-il de coups de cœur ?

Françoise Bourdin : Ce sont complètement mes coups de cœur. Ceux qui fascinent le plus, ce sont généralement les grands félins, le lion, le tigre, le guépard, le jaguar, mais aussi les girafes et les éléphants par leurs proportions folles. Du coup, j’ai fait le choix de ne pas parler de certains animaux qui seraient malgré tout présents dans le parc, comme les lémuriens par exemple. Cependant, puisque je peux tout m’offrir en tant que romancière, j’ai préféré faire dire à Lorenzo qu’il n’y aurait pas d’animations pour les enfants ni de spectacles avec les animaux dans le parc, parce que ce n’est pas le but. Les otaries aiment jouer avec des ballons ? Elles peuvent le faire si elles en ont envie, mais on ne les y oblige pas. La seule chose sur laquelle le héros fait une concession est la fauconnerie parce que le seul moyen de faire voler en liberté des rapaces est de les avoir habitués à revenir, sinon on les fait voler une fois et on ne les revoit jamais ! J’ai vraiment essayé de me mettre dans la peau d’un vétérinaire amoureux de la nature, qui a sa passion, et qui est sans concession, quitte à ne pas avoir une réussite fulgurante et immédiate. Il n’est pas pour autant stupide, il a les pieds sur terre et sait très bien qu’il faut nourrir tous les animaux du parc, mais pas à n’importe quel prix.

 

Les parcs zoologiques ne sont pas toujours bien vus. Or, dans vos romans, ils jouent un rôle dans la préservation des espèces….

Françoise Bourdin : Les animaux ont un habitat naturel de plus en plus restreint et bientôt peut-être, hélas, on ne les trouvera plus que dans les parcs zoologiques. Les villes sont en pleine expansion et un jour il n’y aura plus suffisamment de territoire pour les animaux ; ce n’est pas une raison pour qu’ils disparaissent. Ne plus voir un lion qu’en photo serait incroyablement triste pour les générations à venir.

 

Vous abordez également le problème du braconnage. C’est un thème important pour vous ?

Françoise Bourdin : C’est important d’en parler, de dire qu’en Afrique, et particulièrement au Kenya, il y a une véritable guerre entre les rangers et les braconniers, ils se tirent dessus et se tuent. Les rangers ont vraiment pris à cœur cette défense des animaux et sont prêts à tout pour les protéger, comme les braconniers sont prêts à tout pour obtenir une défense d’éléphant ou une corne de rhinocéros.

Il y a plein de thèmes que j’avais envie d’aborder. Il n’y a pas de messages dans les romans que j’écris, mais j’ai quand même envie de partager mes idées ! Ainsi, quand Lorenzo part en Afrique, il confie son parc à une femme vétérinaire et au chef animalier qui est également une femme ; c’est un petit mot pour dire que les femmes peuvent aussi !

© Blaise Lavigne

 

Propos recueillis par Élodie Plassat