Diversité biologique et changement climatique

Grâce à la réplication d’expérimentations portant sur les effets du changement climatique, dans divers sites géographiques, il est possible de tester la réponse apportée par certaines communautés écologiques et leurs écosystèmes aux changements attendus au cours des prochaines décennies, tout en rendant compte des interactions entre changement global et contextes environnementaux locaux à régionaux. Une étude, fruit de la collaboration entre le Laboratoire écologie fonctionnelle et environnement (CNRS/Université Toulouse III - Paul Sabatier/Toulouse INP) et ses nombreux partenaires à travers le monde, publiée le 5 avril dernier dans "Functional Ecology", montre que la stabilité des écosystèmes néotropicaux (sud du Mexique, Amérique centrale, îles Caraïbes et Amérique du sud) face aux changements de régimes de précipitations ne repose pas sur l’adaptation locale des espèces à la variabilité naturelle, mais sur la redondance des fonctions assurées par les espèces qui joue un rôle d’assurance face à la perte de biodiversité.

Les traits fonctionnels des animaux tels que la taille de leur corps, leur cycle de vie, leur régime alimentaire, la façon dont ils se déplacent révèlent la manière qu’ont les espèces d’interagir avec leur environnement ainsi que le rôle qu’elles jouent dans leur écosystème (la décomposition de matière organique, la pollinisation ou le remaniement des sédiments, par exemple). Face aux changements climatiques, la réponse des communautés animales aux modifications des températures et/ou des précipitations, en des lieux différents, sur de vastes étendues géographiques, demeure inconnue. Il n’est pas certain que la biodiversité locale puisse jouer un rôle d’assurance écologique contre la perte de traits fonctionnels importants afin de soutenir le fonctionnement des écosystèmes.

Les simulations du climat futur réalisées par les climatologues prédisent des fluctuations des précipitations pouvant provoquer des événements hydrologiques extrêmes tels que des inondations et des sècheresses, et dont les conséquences sur les écosystèmes, notamment aquatiques, restent inconnues. Une expérience réalisée simultanément sur six sites (du Costa Rica à l’Argentine) a permis d’analyser les conséquences qu’ont les changements des régimes de précipitations sur les traits fonctionnels des invertébrés aquatiques vivant dans des broméliacées à réservoir néotropicales.

Les broméliacées à réservoir sont un système modèle idéal pour étudier les réponses des écosystèmes d’eau douce aux changements environnementaux. Ces plantes néotropicales possèdent des feuilles disposées en rosette qui retiennent de quelques centaines de millilitres à quelques litres d’eau de pluie. Elles forment ainsi des microcosmes naturels qui abritent un réseau trophique composé de microorganismes (bactéries, champignons, algues, protozoaires) et de macroorganismes détritivores et prédateurs (insectes, crustacés, mollusques, vers aquatiques). Communes dans les écosystèmes terrestres néotropicaux, les broméliacées couvrent un vaste gradient de conditions locales, de la Floride à l’Argentine.

Sur chacun des sites d’étude, des déflecteurs de pluie individuels ont été placés au-dessus de broméliacées . Chacune a reçu, pendant deux mois, des pluies simulées par des apports d’eau contrôlés. Selon les broméliacées, les manipulations ont simulé des changements de -50 % à +200 % dans la fréquence des événements de pluie par rapport aux normes locales, croisés avec des changements de -90 % à + 300 % dans les quantités moyennes d’eau entrant dans les réservoirs. A la fin des manipulations, la diversité des invertébrés et de leurs traits fonctionnels, ainsi que diverses variables indicatrices du fonctionnement de l’écosystème ont été mesurées. L’hypothèse testée est que les écosystèmes des sites les plus naturellement riches en espèces sont plus stables face aux perturbations hydrologiques que ceux des sites plus pauvres en espèces, car certaines pourraient maintenir le fonctionnement des écosystèmes malgré la perte des autres.

L’augmentation de la fréquence d’évènements de sècheresse a eu les effets les plus sévères sur les « écosystèmes broméliacées » des sites les plus pauvres en espèces (Puerto Rico, Guyane, Argentine), où la perte de quelques espèces a éliminé des combinaisons de traits fonctionnels uniques . La sécheresse a notamment éliminé les invertébrés se nourrissant d’algues microscopiques dans la colonne d’eau, de sorte que les communautés aquatiques ont glissé d’une exploitation de ressources « vertes » (algues) à « brunes » (détritus). À l’inverse, la diversité des traits fonctionnels a été préservée quel que soit le scénario de changement de précipitations sur les sites riches en espèces (Costa Rica, Colombie, Brésil), où la perte de quelques espèces a été compensée par la survie d’autres aux traits fonctionnels similaires.

Ces résultats, publiés dans la revue Functional Ecology, permettent de comprendre comment la diversité biologique peut atténuer les conséquences écologiques de la perte d’espèces dans différentes régions des néotropiques. Ils suggèrent également que les politiques environnementales d’adaptation au changement climatique devraient chercher à préserver les espèces fonctionnellement uniques, ainsi que leurs habitats.

 

Source : CNRS

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