Les poissons d’eau douce, indicateurs du passage à l’époque de l’Anthropocène

Des travaux réalisés par une équipe de recherche internationale incluant des scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle du laboratoire BOREA, du CNRS, et de l’IRD, révèlent que plusieurs centaines d’espèces de poissons d’eau douce qui étaient auparavant présentes exclusivement dans une seule région du monde, ont désormais une répartition géographique qui couvre plusieurs continents. Ce sont les sociétés humaines qui ont déplacé massivement ces espèces hors de leurs aires natives. Ces travaux, publiés dans la revue "Science Advances", constituent une démonstration des changements attendus dans les archives fossiles et apportent ainsi une nouvelle preuve de l’Anthropocène au cœur des débats actuels dans la communauté scientifique.

Depuis des millions d’années, les poissons d’eau douce évoluent isolément sur leurs continents respectifs, ne pouvant se déplacer d’un continent à l’autre via les océans. Cette nouvelle étude montre que les sociétés humaines ont récemment changé les règles du jeu en déplaçant massivement les espèces hors de leurs aires natives et en les introduisant partout dans le monde. En analysant les données de plus de 11 000 espèces de poissons d’eau douce réparties dans près de 3000 bassins versants, les chercheurs ont pu comparer la « biogéographie » des poissons d’eau douce avant et après les introductions d’espèces exotiques dont l’Homme est responsable. Au total, 453 espèces de poissons d’eau douce ont été déplacées par les sociétés humaines, avec une accélération exponentielle des introductions depuis le milieu du XXe siècle.

Les chercheurs ont analysé comment ces introductions ont transformé les régions naturelles en « régions de l’Anthropocène ». À cause des déplacements d’espèces orchestrés par les sociétés humaines, quatre des six régions biogéographiques naturelles que sont l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Asie et l’Océanie ont fusionné en une seule grande région qui présente désormais une composition commune d’espèces. Cette région super région « PAGNEA » (anagramme de la Pangée en anglais) illustre que les hommes recréent artificiellement les conditions de dispersion des espèces datant du super-continent de la Pangée, il y a plus de 200 millions d’années (cf illustration ci-dessus).

C’est la première démonstration à grande échelle des changements attendus dans les registres fossiles. La perche, la carpe commune, ou encore le tilapia seront les témoins, pour les générations futures, du passage à l’époque de l’Anthropocène.

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Références :

Leroy B, Bellard C, Dias MS, Hugueny B, Jézéquel C, Leprieur F, Oberdorff T, Robuchon M, Tedesco PA. 2023. Major shifts in biogeographic regions of freshwater fishes as evidence of the Anthropocene epoch. Science Advances

Source : MNHN