Rencontre – Guillaume Maidatchevsky8 min de lecture

Guillaume Maidatchevsky est réalisateur et co-scénariste de "MON CHAT ET MOI, LA GRANDE AVENTURE DE RROÛ", au cinéma le 5 avril.

Synopsis du film : Rroû est un chaton vif et curieux qui découvre la vie sur les toits de Paris. Son destin bascule lorsque Clémence, dix-ans, l’adopte et l’emmène dans sa maison de campagne au coeur des montagnes. Débute alors une extraordinaire aventure pour Clémence et Rroû, qui vont grandir ensemble, croiser la route de la mystérieuse Madeleine et vivre une merveilleuse histoire qui va les transformer à tout jamais.

 

Entretien avec Guillaume Maidatchevsky

Mon chat et moi, la grande aventure de Rroû est adapté du roman de Maurice Genevoix, Rroû. Comment ce livre paru en 1931 (et moins lu aujourd’hui) est-il arrivé entre vos mains ?

Il s’avère que ce roman de Maurice Genevoix était le livre de chevet de Stéphane Millière – l’un des producteurs du film – quand il était enfant. Il en avait acheté les droits il y a une dizaine d’années. Il m’a contacté après avoir vu mon premier long-métrage au cinéma, Aïlo, une odyssée en Laponie. J’ai lu le livre et j’y ai vu un défi particulièrement complexe à relever ! Les valeurs véhiculées par le roman sont très universelles mais son décor, très imprégné des années 30, nécessitait une modernisation pour parler au jeune public du XXIe siècle et lui permettre de s’identifier aux personnages. D’autant que, d’une façon ou d’une autre, qu’on en ait eu un chez soi ou non, tout le monde a eu un chat dans sa vie.

 

Mais que conserver de l’œuvre originale ?

Ce qu’on garde de Maurice Genevoix, c’est le point de vue de l’animal, la façon dont il perçoit la nature. C’est d’autant plus intéressant avec un chat que, contrairement à un chien qui peut être assez vite “discipliné”, le félin se situe à la frontière entre deux mondes : domestique et extérieur. Il a un côté indomptable, indressable. Comme dit Genevoix dans son roman, « le chat consent ». Il y a chez lui ce côté “si j’ai envie”.

 

Quand vous acceptez le projet, est-ce que vous ne redoutez pas le syndrome calendrier de La Poste” ? C’est-à-dire sombrer dans une représentation un peu mièvre de l’animal ?

Effectivement, dès le départ, je me suis dit que je ne voulais pas faire un film gnangnan. C’est aussi pour cela que j’ai voulu conserver la dureté qu’on trouve dans le livre. Le passage où le chat tue une musaraigne est hyper précis dans sa description. On sent la cruauté de l’animal. Mais il faut raconter cette réalité. Je ne veux pas qu’en sortant de la salle, les gens se disent que mon film, c’est du chiqué. Je voulais raconter l’espèce chat telle qu’elle est : mignonne parfois mais aussi chasseuse, prédatrice, capable de jouer avec sa proie. C’est quand même l’animal qui va tuer un oiseau dans le jardin le matin et ronronner sur votre canapé le soir ! Je voulais que les enfants réalisent que le chat a sa liberté. Et que c’est à lui de décider s’il la prend ou non.

Vous avez l’habitude de tourner dans des décors assez spectaculaires, comme ce fut le cas pour Aïlo, en Laponie. Ici, vous avez tourné dans des décors plus familiers du spectateur : l’environnement urbain, la forêt française… Cette dimension plus quotidienne” représentait-elle un défi pour vous ?

C’est vrai qu’en Afrique ou en Laponie, les décors sont si incroyables, qu’ils exercent une fascination naturelle sur les spectateurs. En exagérant, je dirais qu’il me suffit d’appuyer sur “rec”. C’est effectivement plus compliqué de rendre beau des décors dans lesquels les gens vivent tous les jours. Et puis un divorce, la disparition d’un animal, ce sont aussi des situations familières à beaucoup d’entre nous. Donc avec ce film, je suis vraiment sorti de ma zone de confort. Ce qui me semblait essentiel, c’était de rentrer dans l’histoire, de ne jamais lâcher cette question : « qu’est-ce que je veux raconter ? ». Lors de la sortie d’Aïlo, une maman était venue me voir à la fin d’une séance pour me dire : « Merci, vous allez aider mon enfant à grandir ». De la même façon, je me suis demandé comment Rroû allait pouvoir aider des enfants à grandir.

D’où le fait que le divorce soit aussi un des thèmes du film ?

Ce long-métrage me permettait de rassembler mon vécu je sais ce qu’est une séparation – et ma façon de travailler avec les animaux. Et puis Mon chat et moi, la grande aventure de Rroû est un récit d’apprentissage sur la façon dont deux êtres arrivent à se construire. Cela montre comment, lors d’une séparation, un tiers – en l’occurrence le chat – vient se mettre au milieu pour aider. Un de mes meilleurs amis est vétérinaire et il a l’habitude de dire : « Si vous divorcez, prenez un animal à votre enfant ». Je crois vraiment en l’idée qu’un animal peut apporter la sérénité. Et en même temps, la fillette se rend compte que le chat grandit plus vite qu’elle. Qu’il devient adulte et qu’il prend ses décisions.

Justement, Mon chat et moi, la grande aventure de Rroû montre bien qu’on n’appartient à personne. Un chat pas plus que quiconque…

Effectivement, je n’aime pas cette idée d’appartenance. Je n’aime pas l’idée de sédentarité, d’être esclave de…, enchaîné à… Et c’est donc pour ça que j’aime le chat ! Pour autant, sans dépendre de l’autre, on peut partager des choses avec lui, communiquer, l’écouter. L’important, c’est le partage, l’observation.

 

Comment avez-vous trouvé les chats qui allaient jouer le rôle de Rroû ?

Muriel Bec, la coach animalière a fait toutes les SPA, toutes les fermes, toutes les annonces. Elle a vraiment cherché partout. Et je ne lui ai pas simplifié la tâche car je voulais un chaton tigré. Ce qui n’est pas évident pour les raccords parce qu’il faut que, d’un chat à l’autre, les rayures soient à peu près semblables. Mais les chats blancs sont connus pour avoir des problèmes de surdité. Quant aux chats noirs, leurs expressions sont moins lisibles. Au final, nous avons eu quatre Rroû mais l’un d’entre eux a assuré, à lui seul, 80 % du tournage. On a eu une vraie connexion avec lui. Il est arrivé sur le tournage à deux mois et demi et s’en est imprégné, comme une éponge. Il a vraiment grandi avec nous sur le plateau. La seule difficulté, c’est que je me suis rendu compte en arrivant sur le plateau que j’étais allergique aux chats. Dès qu’il y avait 5 ou 6 chats devant moi, cela devenait un peu compliqué. En un sens, le Covid m’a aidé puisque nous avons tourné avec des masques !

Qu’est-ce qui a été le plus compliqué à tourner pour vous ?

Je pense que c’est d’arriver à faire ressentir la complicité qui existe entre Clémence et le chat. Il fallait faire sentir qu’ils étaient en symbiose l’un et l’autre. Un enfant/un chat : c’est quelque chose d’assez commun. Mais qu’est-ce qui fait que ça marche ?

Une partie importante du film se déroule dans les Vosges. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’en faire le décor de votre film ?

Le côté montagneux m’intéressait et on perçoit très bien, dans cette région, les variations des saisons. Cela permettait de bien incarner l’hiver notamment. Et puis cela rendait possible la présence d’un lynx puisqu’il est présent dans cette zone. J’aimais aussi le type de forêt qui plonge immédiatement dans l’univers du conte, avec la mousse, les magnifiques percées de lumière. Tout cela correspondait bien à l’univers du film.

Le film est émaillé de références à de grands classiques du cinéma…

Effectivement, la scène dans le poulailler est un clin d’œil assumé à JURASSIC PARK, plus particulièrement à la scène où le T-Rex entre dans la cantine. Et puis il y a aussi ce moment où le chat est dissimulé derrière des poupées qui évoque clairement E.T. Je suis très fan de Spielberg, de Burton… Et ça me plaît que le spectateur puisse se raccrocher à des références. Parce que ce sont des films qui m’ont aidé à me construire.

Comment ont réagi les héritiers de Maurice Genevoix à votre film ?

Je ne vous cache pas que j’étais un peu angoissé car nous avions pris certaines libertés par rapport au roman. D’autant que ce livre a bercé la jeunesse du petit-fils de Maurice Genevoix. Or il m’a dit que j’avais réussi à lui tirer une larme. Pour moi, le défi était alors relevé puisque le film l’avait reconnecté à ses émotions d’enfants. Il a été particulièrement touché par le fait que nous ayons conservé ce point de vue de l’animal mais aussi par le divorce des parents où le chat joue le rôle de compagnon de route.

© Raoul Gilibert

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Entretien réalisé par Joséphine Lebard