Surprenantes tortues5 min de lecture

Parce qu’elles ont le temps pour elles, les tortues ont développé d’étonnantes stratégies et adaptations. Bernard Devaux, fondateur de plusieurs “Villages de tortues” dans le monde, nous dévoile les tactiques et adaptations de certaines d’entre elles.

L’évolution de l’apparence des tortues
Les tortues ont l’avantage d’avoir la longévité pour elles. Elles sont arrivées il y a 220 millions d’années et il a fallu que chacune d’elles s’adapte dans une petite niche, dans des pays lointains soumis à des climats spéciaux. Pour ce faire, elles ont modifié leur structure, leur anatomie et, souvent, leur comportement. Elles sont devenues tellement “bizarroïdes” que certaines ne ressemblent même plus à des tortues !

Par exemple, la matamata ressemble à des détritus. Cette tortue d’Amérique du Sud a développé sur son cou des petits bourgeonnements évoquant des végétaux. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’un animal passif qui vit dans les marais peu profonds et qui attend de voir passer une proie avant de l’ingurgiter en ouvrant sa bouche très largement. Or, comme elle craint les prédateurs tels que le caïman noir, elle se camoufle en prenant l’apparence d’un végétal inerte. Ainsi, même si vous êtes à 50 cm d’une matamata, vous ne la discernerez pas au milieu des végétaux ; c’est extraordinaire !

Une tortue matamata

Les tortues à cou de serpent vivent quant à elle en Australie. Les cours d’eau y sont assez lents et il n’y a pas de gros prédateurs. Pour capturer leurs proies, elles ont donc fini par s’immobiliser au fond de ces cours d’eau et ont allongé leur cou, qui est devenu plus long que leur carapace. On dit qu’il est serpentiforme car si un poisson passe à proximité d’une tortue, son corps reste immobile, mais son cou va se déplacer comme un serpent et elle pourra ainsi attraper la proie et l’ingurgiter.

Alors que la plupart des tortues ont une dossière hémisphérique, la tortue crêpe mesure 25 cm de longueur pour seulement 4 cm d’épaisseur, d’où son nom. Pourquoi ? Parce que là où elle vit, en Tanzanie, le seul endroit où elle peut se cacher des prédateurs est entre les interstices des empilements de rochers de basalte. Pour arriver à se glisser à l’intérieur de ces cachettes, les tortues plates ont développé un corps très plat et un peu mou. Ainsi, ce sont les seules tortues existantes qui sont capables de s’enfouir dans une anfractuosité de 4 cm de largeur pour survivre car même un prédateur tel qu’un guépard ou un lion ne peut pas y passer la patte. Dans ces anfractuosités, ces tortues trouvent également de quoi se nourrir des vers de terre et des insectes qui y sont présents.

Il y a toutefois un inconvénient : comme elles sont très plates, les femelles ne peuvent produire qu’un seul œuf à la fois.

 

Des carapaces d’une grande variété
On pourrait croire que toutes les carapaces de tortues se ressemblent, mais en fait pas du tout ! Au fil des millénaires, il y a eu des adaptations selon les milieux où vivaient les tortues, en particulier le milieu aquatique où les conditions de vie sont très différentes de celles sur la terre. Les carapaces se sont profondément modifiées et ont même disparu, en quelque sorte : certaines tortues sont en effet recouvertes d’une espèce de peau, de cuir.

C’est le cas de la tortue luth, la plus grosse tortue existante de nos jours, et d’autres tortues qui vivent en Asie et que l’on appelle les tortues molles : elles n’ont pas de carapace mais possèdent une peau superficielle recouverte de nodules osseux qui sont des restes d’une ancienne carapace. Il y a donc eu abandon du dôme principal dur pour un épiderme plus souple et plus soyeux qui leur permet de supporter des pressions considérables, comme en haute mer. La tortue luth est d’ailleurs la tortue qui plonge le plus profondément, jusqu’à 1200 m.

Chaque fois qu’une tortue s’est retrouvée bloquée dans un milieu particulier, elle a pu adapter son anatomie à ce milieu. C’est ainsi que certaines tortues de Malaisie prennent des couleurs phénoménales au moment de la période de reproduction.

 

Des tortues pas systématiquement solitaires
La plupart des espèces sont solitaires, comme la tortue d’Hermann française, qui vit seule. Certaines espèces ont toutefois dû s’adapter à des milieux particuliers et sont en conséquence devenues grégaires. Elles ont alors eu besoin d’être entourées de congénères pour vivre. C’est notamment sur l’île d’Aldabra, dans les Seychelles, que l’on trouve la densité maximale de tortues : 150 000 tortues géantes vivent sur un petit atoll de 150 km² de terre émergée. Pourquoi ? Parce que ces tortues ont préféré vivre en groupe pour optimiser leurs chances de survie ; elles évitent ainsi de mourir de faim ou de chaleur excessive.

Une tortue d’Aldabra

 

La communication complexe des tortues
Nous avons découvert beaucoup de choses sur la façon dont ces animaux communiquent entre eux. On sait qu’elles se transmettent des odeurs et des sons, certaines émettant notamment des couinements. En Asie, des tortues émettent des vocalises au moment de s’accoupler : les mâles poussent de petits cris très précis, ce qui attire les femelles qui échangent à la tour des vocalises.

En Bolivie, un biologiste américain a placé des micros dans les cours d’eau et a découvert que les tortues d’eau communiquent par infrasons, qui varient et semblent évoquer des sortes de conversations sous-marines, comme les orques ou les dauphins. Les chercheurs pensent donc qu’il y a des communications beaucoup plus subtiles chez ces animaux qu’on le pensait autrefois.

 

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Yolaine de la Bigne est la fondatrice du site “L’animal et l’homme”. Elle partage avec nous ses rencontres autour des intelligences animales.

Pour écouter plus d’interviews de Bernard Devaux : www.lanimaletlhomme.com