Le mystère Hans le malin5 min de lecture

Au début du XXe siècle, le cas d’un cheval doté d’une intelligence surprenante devient célèbre à travers l’Europe et suscite des débats houleux au sein de la communauté scientifique. Hans le malin était-il si savant que le prétendait son propriétaire ?

L’histoire de Hans le malin débute avec le Berlinois Wilhelm von Osten, un professeur de mathématiques déterminé à prouver que l’intelligence animale est bien supérieure à ce qu’en pensent les scientifiques de l’époque. Pour mener à bien son étude, Wilhelm von Osten constitua une “classe” de mathématiques avec trois animaux : un chat, un ours et un cheval prénommé Hans. Si le chat et l’ours restèrent de marbre face aux nombres, le cheval fut apparemment réceptif ; le professeur plaça donc tous ses espoirs dans l’étalon. Après un peu d’entraînement, Hans montra en effet des compétences étonnantes en la matière : il savait “lire” des nombres écrits au tableau, en tapant son sabot au sol. Quand Wilhelm von Osten écrivait un 3, l’étalon tapait trois fois, et ce pour tous les nombres en dessous de dix. Emballé par ces exploits, le professeur poussa son élève encore plus loin, l’entraînant dans divers problèmes arithmétiques élémentaires, mêlant nombres et symboles mathématiques. Cette hausse de niveau ne perturba pas Hans, qui parvint rapidement à répondre correctement à une grande variété d’exercices, incluant des racines carrées et des fractions. Wilhelm von Osten en était désormais convaincu : son étalon était la preuve même de l’intelligence animale.

À partir du 1891, le professeur décida d’exhiber les prouesses de Hans dans toute l’Allemagne, le baptisant “Hans le malin” (Kluger Hans, en allemand). Le succès ne se fit pas attendre : les foules se firent de plus en plus nombreuses, et rares étaient les déçus. Hans avait appris à répondre à des questions verbales, toujours avec son sabot : « Si le premier jour du mois est un mercredi, quel jour serons-nous le lundi suivant ? », questionnait Wilhelm von Osten. Six coups de sabot y répondaient. Compter le nombre de personnes dans le public, effectuer des opérations, lire l’heure… Les mathématiques semblaient n’avoir aucun secret pour Hans. Mieux : en plus des nombres, le cheval apprit également à lire et à épeler des mots en remplaçant les lettres par un nombre de coups de sabot en fonction de leur place dans l’alphabet (A = 1 coup, B = 2 coups, etc.). Ces compétences lui permirent de démontrer toujours plus d’intelligence : le professeur berlinois lui exposait un tableau, il était capable d’en identifier le peintre. Une mélodie ? Il savait donner le nom du compositeur. Même lorsque des sceptiques dans le public lui posaient des questions très pointues, le cheval répondait correctement. Évidemment, il se trompait parfois, mais la majeure partie de ses réponses étaient exactes… et bluffantes. On estima son intelligence comparable à celle d’un adolescent de 14 ans. Et le New York Times en fit même sa Une !

Dès lors, la controverse autour du cas de Hans le malin fut telle que le Conseil d’éducation de Berlin décida de créer une commission pour certifier les performances intellectuelles du cheval ou déjouer une éventuelle supercherie. En 1904, la “commission Hans” réunit treize experts – des zoologistes, un psychologue, des professeurs d’école ou encore un directeur de cirque – qui, après plus d’un an d’observation, décrétèrent qu’il n’y avait pas de fraude : Hans répondait, même en l’absence de son maître, aux questions posées par les membres de la commission, le plus souvent sans se tromper. Les facultés du cheval semblaient donc authentiques.

Le dossier fut par la suite confié au jeune psychologue Oskar Pfungst, qui procéda autrement. Tout d’abord, les expérimentations eurent lieu dans une grande tente occultante, afin d’éliminer tous stimuli extérieurs. Si dans l’ensemble Hans répondait correctement aux questions posées par son propriétaire ou par d’autres personnes, Oskar Pfungst nota néanmoins des faits intéressants : quand l’interrogateur s’éloignait de Hans, celui-ci avait plus de mal à donner une réponse juste. Et lorsque l’interrogateur était totalement hors de son champ de vision, ou que l’interrogateur lui-même ne connaissait pas la réponse à la question posée, l’étalon savant récoltait un zéro pointé. De mauvais scores qui eurent apparemment le don d’agacer Hans… qui n’hésitait pas à mordre lorsqu’il ne savait pas répondre ! Le psychologue poursuivit ses observations en s’attardant ensuite sur les interrogateurs face à Hans : inconsciemment, ces derniers changeaient de posture et d’expression à mesure que les coups du cheval approchaient la bonne réponse, laissant deviner une sorte de tension. Tension qui disparaissait à l’instant même où le résultat était atteint – ce que Hans semblait interpréter comme la consigne de cesser ses coups – et qui était absente lorsque l’interrogateur ignorait la réponse, laissant Hans sans indice. En se mettant à la place de Hans, Oskar Pfungst constata que lui aussi était capable de deviner les réponses rien qu’en observant attentivement les interrogateurs, alors incapables de supprimer leurs indices involontaires.

Si les observations d’Oskar Pfungst révélèrent que le cheval n’y connaissait finalement rien en mathématiques, elles prouvèrent cependant qu’il était doué d’une très grande sensibilité au langage corporel inconscient des humains, une capacité que l’on reconnaîtra chez beaucoup d’autres espèces par la suite. Aujourd’hui, l’“effet Hans le malin” désigne, en psychologie, le fait de transmettre des signaux subtils involontaires lors des interactions sociales.​ Wilhelm von Osten n’accepta pas les conclusions du psychologue et continua d’exhiber son cheval. Malgré tout, Hans méritait bien son titre de malin : à défaut d’être un grand mathématicien, il aura été une vraie énigme pour bon nombre d’hommes !

 

Par Pauline Payen